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Je lis Estuaires de Daniel Mesguish

Des écrits, des notes ou réflexions qui témoignent de 40 ans de théâtre sont réunis dans cet essai. On y trouve matière à penser, rêver, se nourrir de l'expérience d'un homme qui consacre sa vie à sa passion de l'art dramatique.

Un extrait du chapitre "A propos d'Andromaque" de Jean Racine (1992)

"Ce cauchemar se tisse en alexandrins. Qui sont à entendre à la fois comme une ciselure et une brutalité ; comme la préciosité d'une parole pourtant première et la monotonie de la plus grande variation. Oui, ces enfants parlent en vers comme une langue d'avant la prose.

Le sujet d'Andromaque n'est pas Pyrrhus, ni Hermione, ni Reste, ni Andromaque. Ce "sujet" n'est pas davantage ce qui leur "arrive" et que "Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime etc.". Non. Le "sujet" d'Andromaque n'est ni un personnage ni une situation : c'est le vers. La "souffrance" de chaque personnage c'est de parler en vers. La tragédie c'est le vers. Chaque vers ici a son paysage, son décor propre, sa scène, que le vers suivant défait. Il n'y a qu'un vers dans Andromaque. Il est à. la fois le premier et le dernier, le seul.

Le vers n'est pas à prendre au théâtre pour une façon ancienne, ou précieuse, ou ampoulée, ou simplement très belle, de "s'exprimer", mais, au contraire, comme ce qui empêche, précisément, de s'exprimer : une loi, imprimée à vif, qui vient barrer un désir. Une écriture qui vient "souffler" une parole. Qui empêche de dire ce que l'on voudrais dire, ou oblige à ne le dire que dans la langue d'un autre, à ne le dire qu'à demi, à n'en dire que l'envers. La fin de la tragédie, sa "solution" ne serait pas, par exemple, que Pyrrhus ne meure pas, ou qu'Oreste épouse enfin Hermione, mais que tous parviennent enfin à parler en prose. A parler.

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